[Projet de développement] « Et vous, comment allez-vous ? » Rencontre avec des femmes Péruviennes
Présentation
Nous avons déroulé peu à peu leurs histoires de vie tout comme elles déroulent leurs pelotes de laine : avec toute la lenteur, l'habileté et la passion que nécessite le travail bien fait. C'est à cœur ouvert que nous avons échangé, d'abord de sujets plus formels, puis, petit à petit, à mesure que la confiance grandissait, sur des sujets plus profonds. Et la pelote de laine s'est transformée en balle que l'on s'envoyait et se renvoyait à mesure que l'une, ou l'autre, se confiait.
Chronologie de mes rencontres avec les femmes Péruviennes
Depuis 2017, mes voyages au Pérou m'ont toujours conduits auprès des femmes. A chaque séjour dans les communautés, c'est tout naturellement que j'engageais la conversation avec elles, lors d'une promenade, d'une activité manuelle, en fait, n'importe quand.
En 2024, je rencontre Tattiana Angel, consultante, fraîchement revenue du Pérou – dans le cadre d'une étude de capitalisation menée par l'ATES, soutenue par l'AFD et le F3E - durant laquelle elle a longuement échangé avec les acteurs locaux : guides, communautés,... Et je découvre qu'elle s'est aussi beaucoup intéressée aux femmes Péruviennes, notamment dans le champ du tourisme équitable et solidaire.
Fin 2024, nous lançons - conjointement avec notre amie et guide Gladys et certaines associations de femmes au Pérou - le circuit « Chez nos amies » dont le but est de favoriser un dialogue entre femmes d'ici et de là bas.
Mais au fait, ces femmes Péruviennes, sont-elles réellement épanouies, certes dans leurs travaux quotidiens, mais aussi tout simplement en tant que Femmes ? Quels sont leurs parcours de vie, qu'ont-elles à nous partager ? Comment créer des conditions suffisamment favorables pour un dialogue en toute confiance ?
Voici quelques unes des questions qui m'animaient avant de partir au Pérou en mars 2025. Voici pourquoi je suis allée spécifiquement à la rencontre de quelques unes de ces femmes, qui croisent très souvent la route de nos voyageurs, qui partagent avec eux un morceau de leur quotidien, qui essuient parfois quelques unes de leurs larmes ; qui sont avant tout ouvertes d'esprit, sincères, attachantes.
De nos échanges autour de l'accueil des voyageurs...
Aux côtés de Gladys, nous nous sommes rendues dans plusieurs communautés de Cusco à Puno, la majorité formées par des femmes.
Nous avons veillé à créer un cercle d'échange toutes ensemble, pour que chaque personne puisse prendre la parole librement, puis de manière plus « intimiste » autour d'une boisson chaude, avec une voire deux personnes seulement.
Par ailleurs, nous nous sommes également entretenues avec différentes guides Péruviennes à Cusco et à Puno.
Ces résultats sont dépendants du contexte choisi pour ce projet et limités aux seules personnes interrogées.
« Avant, on avait peur des touristes. Une dame disait même qu'ils risquaient de nous sucer le sang ! » Une habitante de Llachon
Il apparaît que toutes les femmes et les hommes interrogés sont heureux et épanouis dans l'accueil des voyageurs de manière globale. Le fait d'être accueillis « comme en famille » est ressenti positivement par les deux côtés, aussi bien par les voyageurs que par les habitants hôtes.
« Nous parlons de tout [avec les voyageurs] en totale confiance » Une habitante de Llachon
Il apparaît que les échanges dans ce contexte sont réellement réciproques : les familles hôtes ouvrent les portes de leurs maisons, de leur culture, et il en va de même pour les voyageurs, qui apportent souvent un élément de leur région à partager avec elles. La présence du guide dans cet échange est souvent très appréciée pour réaliser la traduction et pour faire le pont entre deux cultures qu'il connaît bien.
Les familles des communautés conservent toutes leurs activités en dehors de l'accueil des voyageurs (agriculture, élevage, artisanat, vente...). Cette donnée est à nuancer avec la localisation de chaque communauté, mais cela reste vrai dans tous les cas. Par exemple, la pêche n'est quasiment plus pratiquée dans les familles hôtes au Lac Titicaca, mais la vente d'artisanat et la culture des champs l'est toujours.
« Le tourisme a fait que les femmes soient plus indépendantes » Une habitante de Llachon
Le fait de travailler auprès des voyageurs a opéré un grand changement dans la vie de beaucoup de femmes interrogées, notamment concernant le fait de gagner leur propre argent.
Ici comme ailleurs, il n'est effectivement pas rare d'entendre des récits de femmes restées auprès de leur mari pour cause de dépendance financière. Si cela a pu être le cas de leurs parents, les femmes des communautés aujourd'hui disposent librement de leurs revenus.
« C'est surtout grâce à vous les femmes que notre couple va bien ! » Un habitant de Llachon
Le mari des femmes interrogées est souvent absent car il travaille en dehors de la communauté. Le couple conserve cependant cette notion de travail d'équipe, car beaucoup de femmes interrogées disent qu'il s'occupe du bricolage, de certaines tâches administratives (à Llachon par exemple), du travail dans les champs en équipe avec elles, etc.
Dans certaines communautés, comme à Umasbamba (Chinchero) et Llachon (Capachica), certains hommes s'occupent aussi de l'accueil des voyageurs, en équipe avec leur épouse. Dans toutes les communautés, c'est néanmoins les femmes qui restent en première ligne lors de l'accueil des voyageurs.
Par ailleurs, certaines femmes dans les communautés ont du financer les études de leur mari sans avoir elles-mêmes un travail fixe, le plus souvent au début de leur relation. Ce récit a été conté plusieurs fois lors de nos entrevues.
« Cela nous arrive de travailler [dans l'accueil des voyageurs] avec des mères célibataires, des veuves, bref uniquement avec des femmes. » Un habitant de Llachon
Les femmes célibataires, veuves, mères célibataires, ne sont pas discriminées et sont largement représentées dans les associations de femmes interrogées. La solidarité entre les membres d'une même association est de mise, et au sens plus large, l'esprit de communauté est toujours bien réel dans les villages concernés.
Par exemple, si une femme, quelque soit sa condition, souhaite rejoindre une association de tourisme communautaire, elle sera toujours aidée, considérée et épaulée par les membres actifs.
« C'est ainsi dans la campagne, on aide nos amies. » Une guide de Puno
Toutes les personnes interrogées dans le cadre de ce projet, hommes et femmes, nous ont dit qu'elles sont heureuses dans leur couple (lorsque applicable) et qu'elles ne font pas face à des violences conjugales.
Il a été question de l'accès aux moyens de contraception : toutes ont répondu qu'elles y ont accès, toutes n'y ont pas recours – certaines mères ont eu leur enfant très tôt et certaines très tard aussi, leurs enfants ont tous été voulus. Selon nos sources, des dispensaires sont présents dans chaque village et proposent gratuitement des préservatifs et la pilule contraceptive.
« En 2008, nous avons créé notre association de femmes à Raqchi, nous avons réellement débuté en 2011. » Une habitante de Raqchi
Il apparaît par ailleurs que les associations d'habitants ça et là au Pérou se « professionnalisent » de plus en plus : des règles concrètes sont mises en place (ponctualité, hygiène, activités, gestion et répartition des revenus etc) au sein de la communauté pour correspondre aux critères des voyageurs. Ce cadre apporté à l'activité d'accueil des voyageurs est décidé entre tous et toutes lors de réunions dédiées.
Force est de constater que la spontanéité et l'authenticité de la rencontre et du partage dans ce contexte sont tout de même largement de mise.
… aux conversation sur nos nos parcours, nos épreuves, nos réussites
« A posteriori, je suis à la fois fière et surprise non pas de la qualité de nos entrevues, je n'en doutais pas, mais de la rapidité [imposée par nos contraintes de voyage] avec laquelle les femmes Péruviennes, guides et habitantes des communautés, se sont ouvertes à moi. » Mélanie, coordinatrice de voyage
Il a toujours été largement question du rôle des parents lors des entrevues : parfois, ils étaient quasiment absents ou au contraire, très présents lors de l'enfance des femmes guides interrogées. Leur empreinte, qu'elle soit perçue comme positive ou négative, a largement impacté la vie de ces femmes.
Toutes les personnes interrogées ont été confrontées au / ou bien directement victimes de machisme mais reconnaissent qu'il était plus fort pendant la génération de leurs parents
Plus largement, nous avons évoqué les générations antérieures : nos parents, mais aussi les générations à venir : nos enfants.
« A 17 ans, j'ai passé quelques mois dans un couvent de religieuses à Lima. » Une guide de Puno
Certaines guides interrogées proviennent d'un milieu rural assez défavorisé, mais ont eu accès à des études supérieures de tourisme. D'autres au contraire sont issues d'une classe sociale moyenne, ont toujours vécu en ville. Les guides femmes interrogées admettent qu'il y a de plus en plus de femmes dans le métier, mais qu'elles sont encore sous représentées sur le terrain.
« Il m'arrive parfois de voyager seule avec mon fils (par choix). » Une guide de Puno
Pour la majorité des femmes interrogées, guides et habitantes, un événement est survenu dans leur vie qui a changé le cours de leur histoire (accident de voiture, accident d'un enfant, séparation avec son compagnon, procès pour agression sexuelle, décès d'une grand mère...). Elles en gardent des séquelles encore aujourd'hui mais elles évoquent le fait que ces épreuves les ont rendu plus fortes, plus combatives encore.
Les femmes interrogées dans les communautés sont satisfaites du temps passé avec leurs enfants, et gardent toujours des moments privilégiés avec eux, et ce y compris lors de l'accueil des voyageurs
Peu importe de quel milieu elles viennent, les femmes vivant dans les Andes sont fortes, courageuses, résilientes et travailleuses.
Il a souvent été dit dans les communautés que les femmes travaillent davantage que leur époux en terme de volume horaire - du lever au coucher en réalité - de polyvalence, de travail effectif.
Les femmes travaillent toujours chez elles, mais cela leur plaît, d'autant plus qu'elles tirent une grande satisfaction de celle des voyageurs qui séjournent dans un endroit propre, bien tenu, décoré avec goût et chaleureux. Elles ont pleinement conscience que ces derniers viennent chercher une authenticité. Les habitantes conservent leur mode de vie y compris lors des moments d'accueil.
Pour la plupart d'entre elles, le milieu dans lequel elles ont grandi ne leur a rien épargné, c'est pour cela qu'elles mesurent la chance qu'elles ont d'en être arrivées là - jusqu'à une indépendance financière et un contact privilégié avec d'autres cultures - le plus souvent par leurs propres moyens.
Toutes les femmes interrogées ont montré de l'enthousiasme pour ce projet.
« Avec ce travail [dans l'accueil des touristes] nous avons appris à mieux gérer la ponctualité et la responsabilité. » Une habitante de Raqchi
Un immense Merci à Jeyshon, Luis, Walter, Gladys et tous les actrices et acteurs de ce projet sans qui il n'aurait pas été possible.